HOP 1989 numéro 45
Interview de Rémy Bourlès par Jean-Paul Tibéri

 

- Comment êtes-vous venu au dessin ?


- Mes premières tentatives graphiques datent de l'école élémentaire. J'aimais bien tracer de belles majuscules avec des pleins et des déliés. J'ai d'ailleurs plusieurs fois remporté le prix d'écriture. Un peu plus tard et comme la plupart des dessinateurs, j'ai garni les marges de mes cahiers qui débordaient de petits bonshommes en action.
J'allais naturellement vers le dessin alors que j'avais une aversion certaine pour les mathématiques et l'algèbre en particulier ; par contre la géométrie, matière plus concrète et visuelle m'attirait et les professeurs me sollicitaient volontiers pour tracer des figures au tableau noir.
J'avais un goût prononcé pour la langue anglaise que je pratiquais avec un de mes camarades anglophones et avec les marins américains et britanniques qui mouillaient à Brest. J'ai gardé cette passion et je lis assez souvent des ouvrages en anglais mais je n'ai effectué qu'un séjour éphémère à Londres.
A l'occasion je lisais les journaux pour enfants : "L'Epatant", "L'Intrépide", "Les Belles Images", "La Jeune France", "La Jeunesse Illustrée"... mais ce sont les magazines américains (que je trouvais à profusion a Brest, chez un vieux libraire vers les années 20), et en particulier les dessins de Leyendecker qui m'ont décidé à embrasser la carrière.
Je lisais le "Saturday Evening Post" et les modèles publicitaires me fascinaient, d'ailleurs j'ai écrit au "Chicago Tribune" pour leur proposer mes services comme dessinateur humoristique. J'ai reçu une lettre poliment négative et décevante qui me précisait que le journal ne faisait jamais appel à de la main-d’œuvre étrangère, fut-elle française.
Afin de consolider ma technique, je suis passé par les beaux-arts de Brest, où l'on m'a demandé de rechercher des éléments décoratifs pour meubles bretons et encouragé à poursuivre une carrière artistique.
Le jeune homme que j'étais alors n'avait pas encore placé un seul dessin, j'allais sur mes vingt ans.

- Vint la première publication.

- Oui, en 1924 je me suis adressé au "Pêle Mêle" à qui j'avais envoyé quelques dessins en couleurs sur le thème des embarras de la circulation (déjà). On me répondit favorablement en me demandant de recommencer mon travail en noir et blanc, ce que je fis illico.
Ce fut ma seule collaboration à ce journal. Après quoi j'ai pris mon carton à dessin et j'ai fait la tournée des clients potentiels de Brest, proposant des échantillons de mon savoir-faire. Des commerçants m'ont commandé quelques pavés publicitaires illustrés qui ont été publiés dans la presse locale.
Puis l'agence Choblet m'a engagé, puis l'agence Queffurus. Je gagnais quelque argent, encore insuffisamment pour avoir mon indépendance et mes parents continuaient à subvenir à mes besoins.

- Alors vous êtes "monté" à Paris.

- Effectivement, ne pouvant gagner correctement ma vie à Brest, j'ai rassemblé mes maigres économies et, mon carton à dessin à la main, une pauvre valise mais beaucoup de détermination et de courage, j'ai pris le train pour la capitale. Partant dans l'inconnu absolu, sans une adresse, sans une recommandation, sans même savoir où loger. C'était en 1928.
Une nouvelle fois j'ai fait le tour des rédactions et des imprimeurs. Au journal "Le Rire", j'ai vendu quelques pages de dessins toujours sur le problème de la circulation.
Dans un premier temps, j'ai travaillé pour l'imprimerie Kossuth. Je réalisais des dessins publicitaires et des figurines de mode. J'ai même travaillé au crayon lithographique sur du zinc, les figurines devaient être réalisées à l'envers.
Quelques temps plus tard, je suis entré à l'atelier de publicité Marthe Ray. Ce fut mon premier emploi important. En contact direct avec les différentes techniques d'impression, confronté à toutes sortes de problèmes, je peux dire que c'est là que j'ai appris mon métier.
Je travaillais pour les grands magasins "Le Palais de la Nouveauté", "Réaumur"... pour qui je faisais des catalogues de mode (les dessins n'étaient jamais signés), ce qui a certainement influencé mon dessin. Les critiques ont volontiers souligné l’allure élégante et svelte de mes personnages aux plis parfaits.
Après quoi je me suis installé à mon compte, tout en continuant à fournir quelques travaux pour l'atelier Marthe Ray. J'ai réalisé des catalogues pour "Le Printemps", "Les Galeries Lafayette", "Le Bon Marché" de Bruxelles. A l'époque j'étais assez exercé pour créer moi-même des modèles et monter ma propre maison. J'ai reculé devant l'importance de l'organisation a prévoir pour s'imposer sur le marché.
Les éditions de mode Darroux et Napolitano me commandèrent des catalogues entiers. Pour eux j'étais également styliste : je créais des modèles (surtout pour les dames). La plupart du temps un livreur me portait à domicile les costumes et robes types que je devais dessiner. Sur une feuille figuraient les instructions : nous désirons un pardessus croisé à trois boutons. .. dans tel tissu.
Je n'employais pas de trame, tout était dessiné à la main, au format de la publication, un travail minutieux qui finissait par être fastidieux. Ceci dit, j'aimais beaucoup mon métier et je passais de longues journées rivé à ma table à dessin. La mode avait, comme il se doit, un côté extravaguant mais les modèles étaient suivis et ne manquaient pas de chic.
Jusqu'en 1939, je n'ai pratiquement fait que du dessin de mode.

- Puis ce fut la guerre..

- Et je suis retourné à Brest où pour la deuxième fois j'ai passé le conseil de révision (la première fois m'avait valu de passer quelques mois en Allemagne où je passais mon temps à croquer mes supérieurs pour leur plus grande joie et la paix de tous). Cette fois-ci, en raison de ma faible constitution et de ma spécialité, je fus affecté comme dessinateur industriel à l'arsenal de Brest. Mon travail consistait à exécuter des croquis, des travaux de lettres et de cartes pour l'artillerie navale (qui me valurent les félicitations du Préfet maritime). Et ce jusqu'à l'arrivée des Allemands en 1940. A cette occasion on mit le feu à l'arsenal, vision apocalyptique d'une multitude d'explosions au milieu de flammes gigantesques, afin que l'ennemi ne trouve rien. Belle illustration de la politique de la terre brûlée.
Après quoi je suis parti à pied rejoindre ma femme et ma fille qui se trouvaient à 30 kilomètres de là.
Plus tard, je suis revenu à Brest où le spectacle ne fut guère différent. Nous avons essuyé une série de bombardements alliés de première "horreur".
Pendant plusieurs mois, tous les soirs, nous nous sommes réfugiés dans les abris à la suite d'alertes incessantes.
La première maison touchée fut la nôtre, atteinte d'un obus de D.C.A. qui vint heurter une poutre du troisième étage. Fort heureusement, nous étions à la cave.
Afin de survivre, je travaillais chez un peintre-décorateur en bâtiment.
Nous vivions dans une ambiance de crainte, toujours aux aguets, toujours inquiets pour notre famille.
Brest reste tristement célèbre pour quelques épisodes sanglants, en particulier pour l'explosion de l'abri Sadi Carnot (où les Allemands avaient entreposé des munitions qui tua 300 personnes venues s'abriter.)
Tous les travaux de presse que je pouvais trouver étaient les bienvenus, ils me permettaient de garder la main et d'améliorer l'ordinaire, c'est ainsi que je suis venu vers la bande dessinée, ma spécialité n'ayant plus cours dans ce monde tourmenté. La guerre finie, revenu à Paris, j'ai également œuvré pour le cinéma avec en particulier les dépliants pour "Montmartre sur Seine" de Lacombe (en 1941) avec Edith Piaf que j'ai rencontrée aux Studios de Billancourt et avec qui j'ai bu un verre.
Je me suis rendu compte que le catalogue de mode dessiné avait vécu, remplacé par la photographie. Seul Choiselat continuait à dessiner et à éditer ses productions.
Il ne me restait plus qu'à me recycler.

- C'est le début de votre collaboration avec Del Duca.

- J'ai présenté un épisode dessiné des "Bandits de l'Arizona" à un rédacteur en chef de Del Duca qui a bien voulu voir en moi un certain talent de metteur en scène, si bien qu'il me confia la réalisation de récits complets. En moyenne, chacun d'eux comportait 12 pages que je devais réaliser en une semaine. Comme j'avais trop peu de temps bien souvent ce fut Melliès qui en exécuta les couvertures.
Tous les lundis on me donnait un scénario découpé et dialogué. Je n'ai jamais su qui en était le (ou les) scénariste(s), d'ailleurs je ne m'en suis jamais préoccupé. C'était un peu du travail à la chaîne sans grande fantaisie mais réalisé avec la plus grande conscience professionnelle. Les vignettes s'alignaient comme il se devait, je prenais peu de liberté vis à vis du texte d'origine. Je faisais quelquefois une modification que je sentais indispensable au déroulement et à la compréhension de l'histoire.
Cet exercice de style rigoureux était une bonne école. Plus tard, j'ai travaillé pour les hebdomadaires grand format.
J'aimais les longues histoires à suivre qui entretenaient le suspense en fin de page et qui, par leur format, valorisaient davantage le travail du dessinateur.
J'ai collaboré avec Jean Pradeau, le seul scénariste de chez Del Duca avec qui j'ai eu quelques contacts. Il signa Prado pour "L'Insaisissable", "Pour l'honneur", "L'Aigle des mers", "La poursuite éperdue" (il publia un Charcot aux éditions des flots bleus en 1957). Je crois qu'il travailla également pour la télévision.
Ma première série fut "Les coups d'épée de M. De La Guerche" dans "L'Astucieux" en 1947 (On notera qu'une série intitulée "Les aventures de M. De La Guerche" parait au même moment dans "Donald" sous la signature des frères Groux, ce que j'ignorais à l'époque).
Pour "L'Aigle des mers" (adaptation du film avec Errol Flynn), j'ai travaillé à partir d'une douzaine de photographies. Je n'ai jamais vu le film. Ma fille qui l'a vu après avoir lu la BD a reconnu quelques décors, quelques scènes, quelques costumes, mais pas grand chose de l'action pour laquelle Prado avait laissé libre cours a son imagination. Il s'agissait à proprement parler d'une adaptation. La popularité du film servait plutôt de support publicitaire.
J'aime les séries d'aventures qui nous entraînent aux quatre coins du monde ou de l'histoire.
Pour la série en couleurs, petit format, de "L'Insaisissable", Roland Garel m'a aidé pour le lettrage et les décors que j'esquissais à peine.
Il travaillait chez lui et régulièrement venait chercher les planches. Cette collaboration a duré un certain temps, ce furent ses débuts dans le métier.

- Et "Mireille" ?

- Pour "Mireille", j'étais moins dans mon élément, je revenais d'une certaine façon au dessin de mode. Les textes étaient plus sages, plus romantiques. Les personnages pensaient plutôt à se regarder dans les yeux qu'à se bagarrer.
Je travaillais au lavis pour "Mireille" et pour "La Vie en Fleurs". Je me sentais moins à l'aise qu'au trait. C'était un exercice très délicat. Quelqu'un le mettait ensuite en couleurs, ce qui n'était pas toujours de mon goût. En outre, les textes typographiés cassaient l'harmonie de l'ensemble. La lettre manuscrite est plus élégante.
C'étaient mon épouse et ma fille qui cherchaient les modèles de vêtements pour les personnages et me conseillaient pour le choix des différentes tenues.

- Avez-vous rencontre Del Duca ?

- Je n'ai rencontre Del Duca que deux fois pour des raisons strictement professionnelles : il s'est montré sympathique et avenant avec moi. On disait de lui qu'il déchirait les dessins qui ne lui plaisaient pas (quitte à les recoller ensuite).
J'ai quitté Del Duca en 1971 quand "Paris Jour" a cessé de paraître. J'illustrais verticalement des biographies romancées tout comme Frisano, un de mes collègues, dont j'admire la maîtrise et le talent. Nous avons tous deux travaillé sans discontinuer pendant de nombreuses années pour ce journal, réalisant pour ma part une cinquantaine d'histoires en bandes verticales : "La Pompadour", "Agnes Sorel", "George Sand", etc.

- Au même moment, vous travaillez pour Vaillant.

- J'ai rencontré Liquois à la sortie d'une réunion syndicale, il m'a conseillé d'aller à Vaillant pour qui je fis "Bob Mallard" (sur des textes d'Henri Bourdens, pilote de son état qui me fournissait croquis et documents techniques. Ceux-ci ne me dispensèrent pas de nombreuses visites à l'aéroport du Bourget afin d'aller respirer sur place la bonne odeur du cambouis et vibrer dans l'ambiance des ateliers et le contact fraternel des mécanos).
On me reprocha une certaine ressemblance entre "L'Insaisissable" et "Bob Mallard", ce doit être plutôt ce qu'on appelle le style. Je m'appliquais surtout a ne pas commettre d'erreurs que les lecteurs observateurs ne m'auraient pas pardonnées, les enfants sont aussi vigilants que critiques.
Je dois dire que je n'ai eu que des lettres d'éloge, qui en leur temps me flattèrent.
C'étaient les seuls contacts avec mes lecteurs, excepté un jour ou, en vacances en Bretagne, alors que je travaillais sur "Bob Mallard" à la terrasse d'un café, je fus assailli par une bande de gamins qui me harcelèrent gentiment de questions sur la façon dont je travaillais et sur le devenir de mon personnage, ce que j'ignorais alors. Je répondis le mieux que je pus sur le travail du dessinateur, ce fut ma première interview. Nous faisions alors un travail populaire tout en restant dans l'ombre. Cette rencontre m'a conforté dans cette voie, me redonnant du courage à l'occasion.
La séance s'est terminée par la distribution de quelques autographes tout comme une vedette de cinéma.

- Pourquoi avez-vous abandonne "Bob Mallard" ?

- J'ai quitté Vaillant à la suite de quelques réflexions désobligeantes, je suis parti discrètement, poliment...
Par la suite, j'ai regretté un personnage auquel je m'étais singulièrement attaché et qui était très populaire. Dommage que chez Vaillant, il n'existait pas alors une politique d'albums qui lui aurait permis une carrière en librairie. Les journaux restent dans le souvenir, il n'y a qu'à voir le nombre de gens qui m'en parlent, mais le papier a été détruit depuis longtemps alors qu'un livre relié reste dans les bibliothèques. Les jeunes dessinateurs ne connaissent pas leur chance d'avoir rapidement un ouvrage à l'emballage clinquant. Le marché a beaucoup changé, ce qui ne signifie pas pour autant que le contenu soit meilleur.

- Vous avez travaillé pour bien d'autres maisons.

- Et quelquefois pour des publications éphémères. J'ai travaillé pour "Robin l'écureuil" avec Liquois et Dansler. C'était en 1946, je dessinais "Robin des Bois" ; au septième numéro j'ai quitté le journal n'ayant alors pas vu le moindre billet de banque en compensation de mes prestations.
Le journal devait s'arrêter quelques temps plus tard (Robin des bois poursuivait ses aventures animées par un de mes confrères inconnu), quand un membre important de la rédaction dans une crise de démence, tua sa compagne. Quand j'ai appris cette nouvelle, un grand frisson me parcourut le dos en pensant que je l'avais côtoyé récemment.
J'ai également travaillé pour "Bob l'Ardent", journal grand format devenu "Gang", une belle publication malheureusement sans lendemain.
Pour "Artima", je traitais avec un représentant qui venait à Paris passer commande. Mon épouse écrivait les scénarios, j'expédiais mon travail par la poste. Je ne suis jamais allé à Tourcoing, siège des éditions.
Pour les éditions "Aventures et Voyages" que j'ai contactées sur les conseils de Cézard, j'ai beaucoup produit. Ma première série fut pour l'hebdomadaire MON JOURNAL "Le Vagabond du Pacifique" en 1946. Puis, bien plus tard pour les pockets : "Richard le Bien-Aimé", "Mousqueton", "Les Mystères de Londres", "L'Histoire des Sciences, du costume militaire", etc...
Un temps, j'ai travaillé au journal bretonnant "Ololé". C'était une collaboration sympathique qui touchait le vieux breton qui sommeille toujours en moi. C'était un louable essai pour revaloriser la culture bretonne, il y en eut beaucoup d'autres, certains furent vains. La rémunération était fort modeste.
Je me suis beaucoup éparpillé auprès de nombreux éditeurs, j’ai touché à la publicité, réalisé pour TINTIN "Les Soucoupes Volantes" en 1950, illustré des textes pour "Opta", des romans populaires pour la "SPE" (Collection de la Main Blanche : n°2: "L'homme de la Péniche" -E. Martin- n°6 : "Les Serpents Bleus" -A. Verse- n°9 : "L'échéance du 20 décembre" -J.M. Dominique-)

- Comment réagissaient les gens autour de vous ?

- Quand je disais que j'étais dessinateur, on s'étonnait que l'on puisse gagner sa vie de cette façon, ou on me recommandait un petit cousin qui montrait de "sérieuses dispositions".
J'étais plutôt considéré comme un ouvrier du dessin que comme un artiste (Quand on ne vous accusait pas de pervertir la jeunesse !)

- Tout cela vous oblige à avoir une sérieuse documentation.

- Une documentation classée alphabétiquement sur des rayonnages de plusieurs mètres de long. Tous les journaux qui me passaient entre les mains finissaient en pièces.
Cela me demandait beaucoup de temps et on peut dire que j'ai exercé le métier d'archiviste. Ce qui me permit d'acquérir certaines connaissances, en particulier en géographie, en histoire, surtout en ce qui concerne les costumes, le mobilier et la décoration. On pourrait imaginer que le scénariste doive fournir la documentation nécessaire au dessinateur. Le scénariste est impliqué dans l'histoire et donc dans la recherche documentaire. Il est facile d'écrire «l’avion survole Bombay », il est plus délicat de se procurer une vue aérienne de la dite ville. Bien évidemment, plus de la moitié des documents amassés ne m'a jamais servi... mais ma carrière n'est pas encore terminée.

- Comment travaillez-vous ?

- Je trace un crayonné rapide puis j'encre directement. Du temps de ma production maximale, je travaillais une douzaine d'heures penché sur ma table à dessin, dimanches compris. J'avais peu de temps a consacrer à ma famille.

- On vous voit depuis quelques temps dans les festivals.

- En 1978, l'éditeur Prifo du Mans me demanda une histoire inédite pour sa collection "Les classiques de la bande dessinée". Les conditions n'étaient pas exceptionnelles mais convenables et je signai un contrat en bonne et due forme, apposant ma signature à côté de celle de Jean-Paul Tibéri qui avait accepté d'en écrire le scénario.
C'est ainsi que "Le Félon de Miremont" vit le jour. Il s'agit d'une histoire dans le style de celles qu'aimait le public dans les années 50. Je m'y suis senti très à l'aise. Nous avons multiplié les clins d’œil aux classiques du cinéma et de la BD...
A peine l'histoire terminée, l'éditeur arrêta son entreprise qui tournait plutôt à l'aventure sinon au naufrage, et je me suis retrouvé avec cette œuvre sur les bras, sans avoir vu la moindre tune.
Quelques années plus tard les éditions Focus (elles aussi sans lendemain) s'intéressèrent à ce travail qui fut finalement édité en album par Haga. Si je n'ai pas réussi à faire fortune avec cet album, j'ai eu au moins la satisfaction de le voir exister et redonner un nouvel élan a ma carrière qui s'exerçait plutôt en marge de la BD, car ces dernières années je me consacrais surtout à la peinture. Peinture expressionniste classique surtout consacrée à la campagne bretonne, aux fermes, aux vieilles pierres, aux manoirs, aux personnages anciens en habits traditionnels. Tout cela dégage une poésie à laquelle je suis sensible. Quand je voyage en train et que j'ai la chance de traverser la Bretagne, je passe mon temps à la fenêtre et je contemple. Certains paysages me fascinent littéralement.
Moi qui n'ai jamais fréquenté les salons (à l'exception de celui de Clichy en 1977) je me suis rendu a Blois (en décembre 1986) où j'ai reçu une magnifique et délicieuse médaille en chocolat. La première distinction de ma longue carrière !
Puis aux Roches-Prémarie (près de Poitiers) en mars 1987, dans une ambiance très chaleureuse, avec plaisir et un peu d'étonnement, j'ai pu discuter avec mes lecteurs d'hier et d'aujourd'hui.
On me tend des micros, on écrit sur ma carrière, on me photographie... Je n'ai jamais eu droit a tant de publicité.

- Avez-vous fait des expositions de vos peintures ?

- J'ai participé à quelques rares expositions dont la principale, en juillet 1956, à la Maison de la Bretagne à Paris sous la présidence de monsieur Jean Marin Directeur Général de l'Agence France Presse.

- Contrairement à la plupart des séries de vos confrères de "Tarzan", "Pour l'honneur" n'a jamais été repris en fascicule de RC a l'italienne, ni en album, ni, plus tard, en petit format comme ce fut le cas de "Buffalo Bill" (de Giftey), "Robin des Bois" (de Souriau), "Guy l'Intrépide" (de Burty), "Red Ryder", "Sacrifices inconnus", etc... savez-vous pourquoi ?

- Je l'ignore. Je pense que cela doit être du, non évidemment a une question de droits d'auteur, mais plutôt au nombre considérable de pages de cette histoire. Toutefois, mes deux séries "L'Aigle des mers" et "La poursuite éperdue" sur textes de Jean Prado
( J’aimerais savoir ce qu'est devenu ce scénariste ?) Ont été rééditées toutes deux en un même album par les Editions Mondiales.

- A propos du récit "Tempête sur Mani" paru en fascicule "Supplément Vaillant", c'était une reprise des bandes parues dans "L'Avant-Garde", aviez vous débuté dans ce journal avant "Vaillant" ?

- Non, car j'ai débuté à "Vaillant" début 1946, or d'après mes notes j'ai réalisé cette bande directement pour "L'Avant-Garde" de juillet à septembre 1946. "Vaillant" l'a reprise ensuite en album.

- Avez-vous eu des rapports professionnels (ou amicaux) avec vos collègues ? Avez-vous connu Le Rallic, Giffey, Cazanave, Liquois, Melliès, Souriau, Brantonne, Gire, Poivet etc... ?

- Bien sûr. je connaissais tous les dessinateurs que vous me citez et qui étaient mes amis mais, malheureusement, pris par notre travail, toujours urgent, nous avions peu le temps de nous rencontrer. Mais nous nous soutenions tous, entre autre Liquois qui m'a présenté à "Vaillant", Cézard qui m'a introduit à "Mon Journal", Trubert avec qui j'ai échangé amicalement des dessins originaux comme souvenirs. Lucien Nortier qui perdit sa collaboration aux Editions Mondiales pour avoir pris ma défense comme salarié, le président du Syndicat, Roland Garel qui a défendu notre profession avec un courage et une passion qui méritent tous les éloges et m'a même permis d'obtenir la carte de journaliste. De plus, par la suite avec le concours du dessinateur Brantonne (hélas disparu !), ils m'ont fourni deux attestations prouvant ma collaboration aux Editions Mondiales de 46 a 71, ce qui m'a permis d'obtenir ma retraite complémentaire, ce que je n'oublie pas.

- La fameuse loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse a-t-elle eu des incidences sur votre travail à l'époque ?

- Non, cela n'a pas eu beaucoup d'incidence sur ma production à part une fois, à "Mireille" où l'on me demanda de veiller à ne pas donner trop de violence à mes personnages. A "Paris-Jour" quand je dessinais "Phrynée", en bandes verticales, j'avais du, à mon grand dépit, revêtir mon héroïne, alors que je l'avais représentée nue sur une plage ! Les choses ont bien changé depuis.

- A part vos dessins au début de votre carrière, n'avez-vous jamais fait de BO humoristique ?

- En dehors de mes débuts au "Pêle-Mêle" et au "Rire" je n'ai pas fait de BD humoristiques proprement dites, à part peut-être la page "Les Miracles de la chirurgie". Ce travail m'avait bien plu, bien sûr, mais on ne peut tout faire.

- Parlez-nous de vos activités syndicales.

- J'ai débuté mes activités syndicales sous la présidence de Liquois (qui succédait à Joe Bridge). Nous avons lancé une action de salubrité publique.
A cette époque nous n'avions aucune couverture sociale, être malade signifiait être ruiné, réduit à la misère. Nous étions considérés comme travailleurs indépendants et nous cotisions à la CAVAR dans l'espoir d'une minuscule et problématique retraite.
Quand j'ai obtenu ma carte de journaliste, je n'osais pas la montrer à mes éditeurs de peur de me retrouver au chômage.
Nos dessins paraissaient à l'étranger sans que nous en soyons avisés et bien entendu sans toucher les droits qui auraient dû nous revenir. Mais comment vérifier les publications étrangères ?
Le contrôleur des impôts, fort heureusement, nous considérait comme salariés mais il refusait d'intervenir auprès de l'employeur pour que celui-ci régularise la situation auprès des organismes de sécurité sociale. Le contrôleur avait admis que notre collaboration régulière nous valait le titre de salarié à domicile.
Heureusement et par un combat de tous les jours, les choses ont quelque peu évolué. Les générations qui nous succéderont bénéficieront de notre opiniâtreté.

- La BD a aujourd'hui une meilleure image de marque.

- Quand je regarde la télévision, que j'écoute la radio ou que je lis la grande presse, je me rends compte que l'on parle de la BD comme un moyen d'expression de notre époque et je m'en réjouis.
Quand j'ai dessiné "L'homme qui assassina", de Claude Farrère, pour "Paris Jour", de nombreux lecteurs écrivirent pour avoir les références du livre. Comme quoi, au moins pour une fois, la BD avait incité à la lecture. On disait alors que la BD abêtissait... et empêchait de lire.

archive sonore sur son exercice de la peinture (extrait d' une interview en 1988)


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